Le 10 décembre 2011, aux abords d’un centre commercial à La Défense un jeune français de 18 ans fait l’objet d’un contrôle d’identité, sans incident. Estimant qu’il y avait été soumis uniquement parce qu’il était d’origine nord-africaine, il demande par écrit en mars 2012 au ministre de l’intérieur de lui en justifier les motifs. N’ayant reçu qu’une réponse dilatoire il saisit alors le Tribunal de grande instance de Paris, en invoquant un contrôle discriminatoire et en demandant 10 000 euros d’indemnisation pour préjudice moral.
Le tribunal ayant rejeté son recours en octobre 2013 il fait appel.
Le 24 juin 2015 la Cour d’appel constate que le contrôle d’identité dont il se plaignait ne relevait pas d’une opération de maintien de l’ordre dans le centre commercial mais avait été réalisé « sur réquisitions écrites » du procureur, aux fins de « recherche et de poursuite d’infractions » conformément à un cas prévu par le Code de procédure pénale. Il relevait donc d’une action de police judiciaire et le contrôlé contre son gré était un « usager du service public de la justice ».
A ce titre il pouvait se plaindre d’avoir été victime d’une discrimination en matière de « fourniture de biens et services » et réclamer que l’État l’indemnise du dommage causé par le « fonctionnement défectueux de ce service public » à condition que ce fonctionnement caractérise une faute lourde.
Il avait fourni à l’appui de sa requête un témoignage : « J’ai observé au total une dizaine de personnes contrôlées durant 1 h 30 environ. C’étaient uniquement des hommes noirs et des arabes âgés entre 18 et 35 ans. »
La loi prévoit que si une personne présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination à son encontre, « il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination ». Autrement dit c’était au procureur de démontrer que ce contrôle ayant porté exclusivement sur un type de population était justifié par des circonstances « précises et particulières ».
Las, le procureur s’était contenté pour justifier sa demande de contrôles d’identité d’arguer de « l’affluence, de la spécificité et de la sensibilité du site de la Défense » sans autre précision. Les forces de police pour leur part n’ayant gardé aucune trace de leurs actions n’étaient pas plus à même de produire quelque élément que ce soit.
Un témoignage contre rien.
La Cour d’appel a considéré que cette rupture d’égalité injustifiée entraînait la responsabilité pour faute lourde du service public de la justice et devait être réparée par une indemnisation de 1 500 euros.
Si les contrôles avaient été réalisés de manière aléatoire sur les nombreux passants du centre commercial de la Défense il n’y aurait rien à redire. Mais le contrôle « au faciès » est condamné.
Plus exactement c’est le contrôle au faciès injustifié qui est condamné.
Le procureur n’a sous doute pas lu l’Essai pour résoudre un problème dans la théorie des risques ouvrage posthume du révérend Thomas Bayes publié en 1763. Le révérend y invente la probabilité conditionnelle qui justifie la méthode d’inférence bayésienne à laquelle a été donné son nom.
Dans le cas présent elle signifie que si l’objectif du contrôle est de prévenir des actes de délinquance il est efficace et rationnel de les cibler en priorité sur des populations où l’on constate les taux de délinquance les plus élevés. Plutôt les hommes âgés de 18 à 35 ans que les femmes entre 65 et 80 ans par exemple.
Mais également, car c’est là que – toutes les statistiques internationales le montrent – se concentre la délinquance, sur les personnes originaires des quartiers défavorisés
Mais voilà : pour décider si un passant relève d’une population à risque un policier ne dispose que de ses yeux. Et si son expérience personnelle – plus ou moins corroborée par les très rares chiffres disponibles – l’amène à considérer que la population des hommes noirs et arabes âgés entre 18 et 35 ans présente un taux de délinquance significativement plus élevé que d’autres sous-populations, il ne va pas chercher à expliquer que c’est parce que ces personnes résident bien plus souvent que d’autres dans ces quartiers défavorisés. Il sait juste que si pour faire oeuvre d’équité il décide de contrôler autant d’adolescentes blondes entre 12 et 18 ans il devra faire beaucoup plus de contrôles pour trouver une délinquante avérée.
Au procureur de se débrouiller avec l’absence de statistiques, le théorème du révérend et l‘injustice qu’il fait peser sur les personnes « habillées à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux « minorités » visibles ».