Le 24 novembre 1790, les sieurs Perreau titulaires de la concession des Carrosses du Roi à Paris perdent leur privilège. Ils l’avaient chèrement payé en 1779 lorsque Turgot avait eu l’idée de le mettre en vente pour renflouer les caisses de l’Etat . Mais la Révolution française s’oppose aux corporations et aux monopoles , même s’il faut pour cela perdre la redevance annuelle que versaient les sieurs Perreau ; ils sont indemnisés – chichement – et tous les transports en voitures de louage sur Paris sont désormais ouverts au jeu de la libre concurrence.
Plus de deux siècles plus tard les taxis – qui ont remplacé les fiacres – sont confrontés à une autre révolution, celle des technologies de l’information. Ou plus exactement des services rendus possibles par ces technologies.
Plus besoin d’errer dans la rue à
la recherche d’un hypothétique taxi ou de réserver par téléphone pour gagner le droit d’attendre durant un temps indéfini avant de se faire facturer un « parcours d’approche » inconnu et réclamer un paiement en liquide. Quelques clics sur votre téléphone vous permettent de connaître la disponibilité des véhicules, visibles sur la carte GPS, de commander et payer votre course. Un SMS vous confirme l’heure du départ, les prix sont forfaitaires et moins élevés que ceux d’un taxi. La qualité de service est au rendez-vous.
Oui mais.
Ces innovations ruineraient le modèle social français.
Le très mauvais exemple c’est Uber Pop. Grâce à cette application tout conducteur peut s’inscrire pour offrir des trajets dans sa voiture moyennant finances ; il sait que des milliers de clients potentiels sont là et qu’il sera effectivement payé. Certes Uber qui se rémunère par une commission de 20 % du prix du service prend bien soin de préciser aux conducteurs inscrits qu’au delà d’une activité occasionnelle très limitée ils doivent se déclarer comme travailleurs indépendants et s’acquitter de leurs cotisations et impôts. Mais il ne vérifie pas. De là à penser qu’il encourage le travail au noir il n’y qu’un pas. Pas dénué de fondement.
L’activité de VTC (Véhicule de Tourisme avec Chauffeur) ne tombe pas dans ces travers. Les chauffeurs de VTC sont des travailleurs indépendants dûment enregistrés et déclarés. Mais c’est leur relation avec leur réseau, celui que le client connaît – les LeCab, UberX, Allocab ou autres SnapCar – qui pose problème. Ces réseaux fixent les tarifs, attribuent les courses et se rémunèrent par une commission. Mais les conducteurs ne pourraient gagner correctement leur vie qu’en travaillant au-delà du raisonnable. Ils seraient plus ou moins contraints de s' »autoexploiter ». Pas très social.
Et les taxis ?
Voilà une profession très réglementée. Un chauffeur doit réussir un examen professionnel organisé par la Préfecture de police.
Mais encore lui faut-il un taxi.
Il peut le trouver auprès d’une entreprise qui le salariera : un arrêté prévoit que son « salaire » quotidien garanti est de 13,75 € et 30 % des recettes. Avec des recettes qui dépassent rarement 250 euros par jour ça fait peu ; en fait les employeurs recrutent deux salariés par voiture et concentrent leurs horaires sur les périodes de forte demande – ou de tarifs plus élevés, comme la nuit. Ainsi un chauffeur gagne un peu plus que le SMIC au prix d’horaires complètement hachés. Mais ils ne sont que 3 % des chauffeurs de taxi à être salariés.
Une autre solution est devenir artisan-taxi, détenteur d’une « autorisation de stationner » (la licence – ou plaque) et propriétaires de son véhicule. Ou à défaut de plaque et de véhicule, d’en louer un, comme un peu plus de 10 % des taxis.
Un locataire doit au titulaire de la plaque la location, les assurances et l’entretien du véhicule ainsi que la part salariale des charges sociales, calculées sur une base forfaitaire de 70% du plafond de la sécurité sociale. Pour autant il n’a droit à aucune indemnisation en cas d’arrêt maladie ni à l’assurance chômage et est assimilé sur le plan fiscal à un artisan. Avec un loyer pouvant s’élever jusqu’à 4 500 euros par mois, il ne doit pas compter pas ses heures s’il veut régler le carburant et dégager un revenu. L’horodateur installé sur le taxi qui le limite à 11 h de travail par jour sera une véritable contrainte. Et, c’est un secret de Polichinelle, pour vivre décemment le plus simple est de ne déclarer qu’une partie de la recette, qui sera ainsi nette d’impôts, ce qui explique le goût pour le paiement en liquide. Mais cela n’en reste pas moins, pour les défenseurs des locataires un « esclavage moderne« .
L’artisan-taxi lui est son seul maître. A lui de s’endetter pour acheter sa licence et sa voiture. Au moins ses efforts contribuent à son capital. Mais la tentation existe de ne pas déclarer l’ensemble de ses recettes, pour économiser cotisations sociales et impôts. A vrai dire pour M. Delpha, économiste il est « juste impossible de justifier la valeur de marché des plaques pour un business normal de taxi qui paierait toutes ses charges ».
Un modèle social du taxi qui n’est pas joli joli, en fait.Pourtant.
A Paris 11 000 véhicules sur un total de 17 700 sont en contrat avec le groupe G7 sous la marque des Taxis G7 ou des Taxis Bleus. Moyennant une redevance mensuelle ils reçoivent un équipement radio et un flux quotidien de réservations de courses. Indispensable voire vital puisque 2/3 des courses se font sur réservation. Si le chauffeur reçoit le montant inscrit au compteur, la centrale de réservation conserve pour elle les abonnements et les frais de gestion et de réservation facturés aux clients, privés ou professionnels qui ont la priorité s’ils souscrivent des abonnements premium.
Le groupe de M. Rousselet est très discret sur ses comptes. Mais les données disponibles permettent d’affirmer que la recette qu’il tire de chaque taxi affilié est bien supérieure à 1000 euros par mois.
Les Français exploitent les Français.