Dr Tsipras et Mr. Alexis

Janus

Le 25 janvier 2014 les Grecs ont donné une large victoire au parti Syriza de la gauche radicale de M. Tsipras.  Ses  supporteurs ont manifesté leur joie dans les rues d’Athènes. « Cette victoire est très importante pour la Grèce et l’Europe. Nous allons prouver qu’une autre politique économique est possible ».

Le tout nouveau premier ministre a été élu en promettant au pays une autre manière de sortir de la crise qu’il connaît depuis 2009 : renégocier le remboursement de la dette, en annuler une partie, créer de l’emploi et s’occuper des aspects sociaux, en revenant sur les baisses du salaire minimum, des retraites et du nombre de fonctionnaires.

Cette position n’est pas sans rappeler quelques moments de notre histoire.

Le 3 mai 1936, les électeurs du Front Populaire réunissant socialistes, radicaux et communistes, fêtent dans l’allégresse leur victoire aux élections législatives. Dès son installation en juin 1936, le nouveau gouvernement sous la direction de M. Blum, le leader socialiste, engage d’énergiques réformes, dont il attend une reprise rapide d’une économie en crise. Il organise la signature des accords de Matignonqui instituent le relèvement des salaires de 7 à 15 %, la conclusion de conventions collectives du travail, la reconnaissance de la liberté syndicale, etc. Puis il prend deux lois lois instituant deux semaines de congés payés et la semaine de 40 heures (au lieu de 48) sans diminution de salaire. S’y ajoutent la nationalisation de la Banque de France et des industries de guerre,  et l’instauration de l’Office national du blé, pour défendre le cours de la céréale.

Le 10 mai 1981 au soir, « le peuple de gauche » est dans la rue. Pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, un socialiste M. Mitterrand est élu président de la République. Le nouveau président dissout I’Assemblée nationale ; le 21 juin 1981 les élections qui suivent lui donnent la majorité et il peut mettre en place les principales mesures économiques du Programme Commun qu’il avait établi en 1978 avec les communistes et les radicaux de gauche : semaine de 39 heures, 5ème semaine de congés payés, retraite à 60 ans, augmentation du SMIG et des allocations sociales, nationalisation des grandes industries et du secteur bancaire, mise en place de nouveaux droits syndicaux.

Chacun connaît la suite.

En 1936 la reprise ne se manifestera pas. La production stagne, le chômage s’accroît et les augmentations de salaires et de charges sociales font grimper les prix de près de 20 %. Le déficit budgétaire devient considérable, ainsi que le déséquilibre de la balance extérieure. Dès septembre 1936 M.Blum doit dévaluer le franc de 30 %, puis en  février 1937 annoncer une «pause » dans les réformes pour donner la priorité au rétablissement des comptes publics par des économies de dépenses et des augmentations d’impôts. En  juin 1937 après s’être vu refuser par le Sénat l’autorisation de prendre par décrets-lois les mesures d’assainissement monétaire qu’il souhaitait, il démissionne.

Les radicaux, qui reprendront la direction du gouvernement, avec la participation de deux ministres socialistes poursuivront avec un certain succès cette politique de redressement des comptes publics. Mais dès l’automne 1937 la situation économique, entravée par des grèves incessantes, se détériore à nouveau : poussée du chômage, reprise de l’inflation et évasion des capitaux. Janvier 1938 marque la fin du Front populaire : le gouvernement ayant demandé que les syndicats cessent les grèves sur le tas, illégales, les communistes lui retirent leur soutien  et les ministres socialistes, craignant de se couper de leur électorat, démissionnent.

Ce n’est qu’en avril 1938 que M.Daladier peut former un cabinet stable, 100 % radical. Il réprime  les grèves. Et en novembre 1938  pour « remettre la France au travail » il décide par décrets-lois un plan de redressement qui réduit les dépenses des services publics,  autorise des dérogations massives à la semaine de 40 heures et remonte le temps de travail des fonctionnaires à 48 h. La reprise de l’activité sera forte et générale, jusqu’à l’entrée en  guerre en juillet 1939.

En 1962 encore 75 % des ouvriers travailleront plus de 45 h par semaine.

En 1981 également la joie sera de courte durée.

Le gouvernement pensait réduire le chômage grâce une politique de relance par la consommation s’appuyant sur la maîtrise du crédit par des banques nationalisées. Mais si les dépenses de l’Etat augmentent considérablement, et l’inflation avec, pour dépasser 13 % en 1981, l’économie ne décolle pas et le chômage croît. En octobre 1981 le gouvernement doit dévaluer le franc. En juin 1982 il annonce le blocage des prix et des salaires et une nouvelle dévaluation. Début 1983 la situation internationale de la France devient critique: tous les indicateurs financiers : équilibre budgétaire, balances commerciale et des paiements sont dans le rouge. Une nouvelle dévaluation est inéluctable.

En avril 1983, quand le premier ministre annonce, après cette troisième dévaluation, qu’il met la France au régime sec, il choisit de pas employer le mot « austérité » et lui préfère le terme de « rigueur ». A côté d’un plan d’augmentation des impôts et des tarifs des services publics et d’un emprunt forcé pour tous les contribuables payant plus de 5000 francs d’impôt, les Français se voient imposer une mesure marquante, l’instauration d’un carnet de changes qui leur interdit de sortir de France plus de 1.000 francs en billets et d’acquérir plus de 2.000 francs de devises. Adieu les vacances à l’étranger.

Le tournant de la rigueur fera date. Les nationalisations seront annulées progressivement..

Est-ce à dire que dans 23 mois le premier ministre de la Grèce appliquera forcément une politique toute autre que celle qu’il annonce aujourd’hui ?

Certainement. Et sans doute bien avant.

Et que son échec est programmé ? Pas si sûr.

Car la crise grecque dans la zone euro n’est pas nouvelle.

Elle trouve son origine en l’an 2000 lorsque la Commission européenne et la BCE ont rendu un avis positif à l’entrée de la Grèce dans la zone euro. Les maux qui affectent le pays – corruption, clientélisme et prévarication, déficience de l ’État de droit  – et qui l’ont amené à truquer ses comptes publics pour se qualifier étaient pourtant connus. Mais à l’époque les gouvernements français et allemand  – qui eux-mêmes n’étaient pas dans les clous des critères de Maastricht – ont choisi de détourner les yeux.

Le traité de Maastricht prévoit des critères de « convergence » pour prévenir les comportements de passager clandestin structurellement encouragés dans une union monétaire où chaque pays bénéficiant des taux dus au comportement vertueux des autres  est individuellement incité à faire porter le poids de son endettement sur l’ensemble de ses partenaires. Incitation d’autant plus importante que le poids du pays est faible dans l’union.

C’est exactement ce qui s’est passé pour la Grèce  qui a pu bénéficier pour sa dette souveraine des taux allemands jusqu’en novembre 2009, moment où son gouvernement a reconnu que les comptes publics avaient été maquillés, avec un déficit public divisé par trois sur les dernières années. Ce qui a immédiatement entraîné la fuite des prêteurs et l’impossibilité pour l’Etat grec de se refinancer.

En ayant menti sur ses comptes pendant près de 8 ans la Grèce a pu entrer dans la zone euro et « diverger » tout au long d’une période durant laquelle son PIB a crû de 4,2 % par an .

Croissance extraordinaire. Mais à crédit. Gratuit, ou plutôt caché.

Pour éviter la faillite de la Grèce et un risque de contagion à l’ensemble de la zone euro, les autres pays de la zone ont été contraints de lui venir en aide, avec l’aide du FMI. Les banques commerciales porteuses de titres de la dette nationale grecque ont payé leur imprudence en devant accepter d’en abandonner 53 %. Le FMI et les pays de la zone euro, Allemagne et France en tête, ont accepté d’emprunter pour la Grèce et ont ainsi ramené le taux de sa dette publique à un niveau très faible : 0,8 % en moyenne.

Pour arrêter l’escalade de la dette il faut faire correspondre dépenses et  recettes, ce que le FMI appelle un programme d’ajustement des finances publiques et qu’on qualifie en France de plan de rigueur. La Grèce a dû ramener rapidement le train de vie de ses administrations publiques au niveau de leurs vraies ressources,  ce qui a contribué à dégonfler son PIB  de près de 30 %.en 4 ans.

Lorsqu’une crise semblable atteint un pays en voie de développement le FMI cherche à en identifier les éventuelles causes structurelles et à les traiter. Il envoie des experts de la Banque Mondiale qui prennent en main la gestion du sujet et construisent les grandes lignes des réformes nécessaires.

Les « Memorandum of understanding » adressés par le gouvernement grec au FMI, à la Commission européenne et à la BCE lisaient ces réformes structurelles – luttes contre la fraude et l’évasion fiscale, mise en place d’un cadastre, réforme de la justice, amélioration de la productivité de l’administration, réforme du marché du travail – qu’il s’engageait à conduire dans le cadre des plans d’aide.

Mais l’Union européenne, association d’Etats souverains, est désarmée  pour imposer à l’un de ses membres le respect d’engagements concernant pour la plupart  des compétences purement nationales. Elle a créé une Task Force de fonctionnaires européens mais son intervention est perçue comme une insulte à la dignité nationale. En 2015, la Grèce est bien loin d’avoir achevé le programme de réformes annoncées : fisc, justice, enseignement, fin des rentes de situation, clientélisme, corruption, il reste beaucoup de travail. Jamais les autorités politiques grecques n’ont clairement reconnu que la crise était l’occasion de nettoyer les écuries d’Augias.

C’est la force du parti de M. Tsipras : il n’a pas été impliqué dans la mauvaise gestion de l’État grec, à la différence des partis de gouvernement et notamment du PASOK , la parti socialiste grec qui s’est écroulé aux dernières élections.

Parti nouveau il peut tout changer et mettre en œuvre les réformes de structure qui n’ont pas été faites depuis 1830. Y compris opposées aux principes qu’il annonce aujourd’hui ? Et pourquoi pas, dès lors qu’elles seront  décidées par les Grecs, et pas par l’Europe.

C’est un héros révolutionnaire du Parti Communistechinois qui a déclaré  « Peu importe qu’un chat soit noir ou gris, pourvu qu’il attrape la souris ».

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