Au moins cinquante professeurs franciliens candidats à l’agrégation interne n’ont pu subir les épreuves de ce concours le jeudi 29 janvier. Bloqués dans les transports en commun par la grève du RER A les malheureux candidats, arrivés avec parfois quelques minutes de retard seulement ont trouvé porte close et ont été éliminés d’office.
Des mois de préparation évaporés en un instant. Des candidats ont fondu en larmes en réalisant qu’ils avaient raté le concours sans avoir pu le tenter. « C’est vraiment injuste, et terrible. » Tous, professeurs en exercice, l’ont préparé longuement, parfois depuis deux ans. Certains avaient même bénéficié pour leur préparation d’un congé de formation, rémunéré à 85 % de leur salaire de base par l’Education nationale .
Les candidats recalés n’ont « malheureusement pas de recours », a indiqué Mme Vallaud-Belkacem. « C’est évidemment terrible pour chacun d’eux, individuellement », a reconnu la ministre. « L’agrégation, c’est un concours, les règles sont extrêmement strictes. Des milliers de candidats sur l’ensemble du territoire national ont passé la même épreuve à la même heure avec fermeture des portes stricte. On ne peut pas accepter un retardataire, parce que sinon ça remet en cause les conditions du concours pour l’ensemble des autres candidats », a-t-elle expliqué. « Dans un examen, vous pouvez […] accepter que quelqu’un arrive cinq minutes en retard », car le fait que ce candidat réussisse « ne va pas porter préjudice à ceux qui étaient là à l’heure ». Mais dans un concours, où on procède à une sélection, « si vous ouvrez une tolérance à celui qui est en retard et qui pourrait s’être fait communiquer le sujet […] vous le faites au détriment de ceux qui étaient là » à l’heure.
Interrogés par France Info, plusieurs candidats se retournent contre les organisateurs du concours qui n’ont pris aucune disposition à l’annonce du mouvement social : « Il fallait prendre une décision, personne n’a osé la prendre. Je n’en veux pas du tout aux conducteurs de RER, j’en veux plus à l’institution et à son manque de réactivité, c’est comme si rien ne s’était passé », regrette l’un des candidats.
Très triste que le service public des transports assuré par la RATP n’aie pas été ce jour-là en mesure de respecter le principe constitutionnel de continuité du service public, qui repose sur la nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général sans interruption.
Il est vrai ce principe de continuité doit s’accommoder du principe, constitutionnel lui aussi, du droit de grève. Et le mouvement des conducteurs n’a été annoncé que jeudi à 6 h du matin soit trois heures avant le début de l’épreuve.
Pourtant depuis une loi d’août 2007 les salariés des transports public ont l’obligation d’indiquer quarante-huit heures à l’avance qu’ils ont l’intention de faire grève, justement pour permettre de réorganiser le service.
Mais il ne s’agissait pas d’une grève. L’arrêt de travail des conducteurs a une autre origine.
Ce jeudi matin, un passager s’est fait coincer la main dans une porte alors qu’il tentait de forcer l’entrée dans la rame, ce qui activé le signal d’alarme. Le conducteur a quitté sa cabine pour réarmer le système d’alarme et a reçu un coup de tête de la part du passager énervé, qui a pris la fuite. Le conducteur a eu le nez fracturé. Les autres conducteurs de la ligne ont alors cessé collectivement le travail en usant du droit de retrait inscrit dans le Code du travail.
En voici la définition : « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent […] ».
Le droit de retrait n’impose pas de préavis et peut être déclenché n’importe quand. Il impose uniquement de prévenir la hiérarchie. Par ailleurs, il n’est pas limité dans le temps et n’entraîne pas de retenues sur salaires, sous la condition qu’il soit légitime.
Etait-on vraiment dans ce cas ? On comprend assez mal en quoi une agression localisée d’un voyageur particulier constitue un danger imminent pour l’ensemble des conducteurs de la ligne.
Des centaines de milliers de voyageurs ont été pénalisés par cette action : la galère et les retards de toute sorte, les examens ou concours ratés, mais aussi un jour de salaire éventuellement retenu et les difficultés avec la hiérarchie pour leur retard.
Mais on est très loin d’évoquer des sanctions pour les conducteurs. Le secrétaire d’Etat aux transports a timidement déclaré qu’une telle interruption du trafic « en dehors des procédures appropriées » ne peut constituer la bonne réponse.
Seule la Fédération nationale des associations d’usagers des transports a dénoncé fermement le mouvement : « Une telle agression, si inacceptable soit elle, ne peut justifier la paralysie totale et sans préavis de la ligne RER A. » et a clairement réclamé un « encadrement plus strict des conditions d’utilisation du droit de retrait ».
Un sujet pour la prochaine agrégation interne de philosophie : « De l’application des lois. »