Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Europe connaît plus d’un million de personnes déplacées en raison du conflit. Pour régler leur situation l’ONU crée en 1950 le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et adopte le 28 juillet 1951 la convention de Genève par laquelle les Etats s’engagent à recueillir les réfugiés.
La Convention définit un réfugié comme une personne craignant « avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Sont exclues les personnes ayant commis un crime contre la paix, un crime de guerre, un crime contre l’humanité, un crime grave de droit commun ou s’étant rendues coupables « d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies. »
La Convention ne s’applique qu’aux évènements antérieurs au 1er janvier 1951 et peut être limitée aux ressortissants de certains pays. Ainsi lorsque la France la ratifie en 1954 elle décide que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) l’organisme qu’elle crée alors ne traitera que des ressortissants des pays d’Europe.
Au début des années 1970 la France accueille très peu de réfugiés : les difficultés de l’OFPRA découlent au contraire de leur disparition. Ainsi l’évolution politique de l’Espagne l’amène à amnistier les exilés politiques républicains ; ceux-ci ne sont donc plus des réfugiés, mais beaucoup ne souhaitent pas quitter la France et forment des recours contentieux pour garder leur statut.
En avril 1971 la France ratifie le protocole de New-York qui supprime dans la Convention de Genève toute limite temporelle et géographique. Dès 1973 l’OFPRA reçoit 1 600 demandes d’asile. C’est à cette époque que, notamment pour accueillir les réfugiés chiliens fuyant le régime de Pinochet, l’État crée des centres provisoires d’hébergement.
Le nombre de demandes d’asile va exploser pour atteindre plus de 60 000 en 1990. Elles ont des motifs politiques (Chili, Argentine, Pologne, minorités de Turquie..) ou humanitaires suite à des conflits armés (Vietnam, Sri Lanka, Zaïre). Plus de 120 000 réfugiés du Sud-Est asiatique les Boat people fuyant le régime communiste du Vietnam seront accueillis en France à partir de 1975.
Mais voilà. De plus en plus de de demandes sont refusées : alors qu’au début des années 1980 80 % des demandeurs se voyaient accorder le statut de réfugié ils ne sont plus que 15 % en 1990. En fait dans l’afflux de demandes on trouve de plus en plus d’immigrants économiques qui cherchent à obtenir par ce statut de réfugié un accueil qui leur est refusé autrement.
Confronté au problème et craignant un afflux massif d’exilés d’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin le gouvernement français prend en 1991 des mesures drastiques : il interdit aux demandeurs d’asile de travailler, ouvre des centres d’accueil qui leur sont réservés et augmente les moyens de l’OFPRA. L’idée est simple : comme ils sauront plus rapidement qu’ils ne seront pas accueillis et qu’on ne les laissera pas s’intégrer dans la société française les demandeurs « économiques » vont diminuer.
On est assez loin de la politique des premiers jours ; il s’agit en fait pour la France – comme pour les autres pays européens – d’être suffisamment dissuasive pour juguler un flux d’immigration économique non souhaitée, tout en affirmant haut et fort des valeurs humanitaires internationales. Cette politique aura un certain succès : en 2003 le nombre total de réfugiés reviendra en dessous de celui de 1973, les demandes totales diminueront jusqu’à 17 000 et le taux d’acceptation remontera aux environs des 30 %.
Parallèlement les États européens se mettent d’accord pour disposer qu’un demandeur ne peut formuler qu’une seule demande d’asile au sein de l ‘Europe et pour désigner le pays où il doit la faire. La théorie est claire : les personnes prétendant au statut de réfugié doivent – sauf accord d’un autre pays, notamment pour des raisons familiales – s’adresser aux autorités du pays de débarquement en Europe. Celles-ci décident seules et en cas de refus renvoient le demandeur dans son pays d’origine.
Mais la pratique est moins simple : les pays d’origine répugnent souvent à reconnaître leurs ressortissants exilés et encore plus à les rapatrier ; les pays européens ont du mal à assumer devant leur opinion publique des règles qui conduisent à renvoyer par la force des pauvres dans des pays pauvres. De plus les principes généreux du droit humanitaire envoient des signaux contraires aux exilés : ils ont normalement droit à formuler une demande d’asile et à être accueillis durant toute l’instruction de celle-ci : si elle est refusée ils peuvent faire appel – et bénéficient pour cela d’une aide juridictionnelle – et continuent d’être accueillis. En France ils bénéficient de la couverture médicale universelle et leurs enfants sont scolarisés.
En l’absence de papiers d’identité – souvent subie mais parfois organisée – la tentation existe pour certains exilés refoulés de tenter leur chance ailleurs. Ou – tout simplement – de rester dans une situation irrégulière et tenter de rejoindre le pays de leur choix pour y déposer une demande d’asile. Les dernières jurisprudences interdisent en effet de retenir ou d’incarcérer les personnes en situation irrégulière pour cette seule raison, et il est en pratique impossible de les expulser s’ils affirment provenir de pays à risque. C’est la situation de fait des migrants de Calais – ou de ceux qui se réfugiaient sous le viaduc du métro à La Chapelle.
Dans les faits il devient de plus en plus difficile de prononcer des mesures d’expulsion de personnes vivant en Europe depuis plusieurs mois ou plusieurs années. D’autant plus que par le travail clandestin elles contribuent au fonctionnement réel de l’économie. La seule solution pour les autorités du pays de résidence est la régularisation unilatérale. Et c’est pour éviter cela que les États européens, prétextant des règles qu’ils se sont donnés, se renvoient les clandestins et la charge de les expulser.