Trois virgule zéro

Règle d'or dort

La France vient de recevoir un satisfecit de la Commission européenne. La réduction du déficit budgétaire est réelle et la limite des 3 % du PIB fixée par le traité de Maastricht semble en voie d’être enfin respectée.

Mais d’où viennent donc ces 3 % ?

Des déficits publics entraînent des emprunts qui eux-mêmes créent un risque d’inflation et de dévalorisation de la monnaie. Il faut donc les éviter, en menant une politique budgétaire sage. Mais s’ils partagent une même monnaie, les Etats ne partagent pas leur politique budgétaire et fiscale. De plus un déficit public peut apparaître, voire – conformément à la théorie de Keynes – être décidé volontairement en période de crise pour relancer l’activité économique et réduire le chômage, sans que cela soit forcément préjudiciable à la monnaie. Même si M. Keynes expliquait qu’un déficit doit rester exceptionnel et n’est là que pour initier une relance économique qui permet de revenir à l’équilibre budgétaire, il faut accepter les déficits raisonnables. Et pour ce faire, les encadrer par une règle opposable à tous les Etats

En 1991, lors des discussions préalables à  la création de la monnaie européenne, les Allemands –  très inquiets à l’idée d’abandonner le mark, si fort et si stable, pour une monnaie inconnue – ont donc insisté pour avoir des règles de discipline budgétaire. Ils proposaient de reprendre celle qui existait alors dans leur loi fondamentale : l’Etat ne s’endette  que pour investir. Mais cette norme pose question : d’une part un investissement public n’est pas forcément utile. D’autre part la frontière entre dépenses courantes et investissements est poreuse : certains investissements ne font que maintenir en l’état des biens indispensables et – pire – des techniques comptables astucieuses permettent de classer en investissements des dépenses courantes. C’est donc un critère qui est facilement manipulable.

En théorie la seule règle pertinente est de garantir que la dette publique est toujours remboursable : un critère adapté devrait donc s’appuyer sur le calcul de la capacité de remboursement. Mais à vrai dire cette capacité est aussi affaire de volonté politique. Difficile à définir par un Traité.

C’est alors que M. Trichet, à l’époque directeur du Trésor français proposa un critère simple et robuste : fixer le déficit public maximum admissible à 3 % du PIB. « ll s’agit de la règle imposée par François Mitterrand en 1982-1983 » rappela-t-il. En vue d’éviter que le franc, qui avait été dévalué trois fois depuis 1981, sorte du serpent monétaire européen. Voilà qui rassura les Allemands : une règle simple et qui, somme toute, avait fait ses preuves.

Dès lors M.Kohl put expliquer au Bundestag que la nouvelle monnaie serait aussi forte que le mark en étant protégée par la règle du « Drei komma null », le « Trois virgule zéro » (et pas un dixième  de plus… ). Cette formule devint son credo face à la réticence de son opinion publique.

Mais aussi emblématique soit-elle cette règle ne suffit pas : beaucoup de déficits limités pourraient conduire à une dette insoutenable. Il faut donc encadrer celle-ci.

La limite de la dette fut fixée à 60 % du PIB. En cohérence parfaite avec deux autres objectifs macroéconomiques européens : une inflation à 2 % et une croissance de 3%. Sous ces hypothèses un pays présentant un déficit public de 3 % du PIB  alors que sa dette aurait  déjà atteint 60 % du PIB connaîtrait une augmentation de sa dette de 5%, en nominal ; mais exprimée en termes réels la dette resterait bien stabilisée à 60 % du PIB.

Mais comment François Mitterrand avait-il fixé ce critère à 3 % ?

C’est en 1975 que la France connut son premier déficit  budgétaire : 25 milliards de francs. Le président de la République M. Giscard d’Estaing, ancien ministre des finances, décide alors de fixer le déficit maximal à 30 milliards de francs. Objectif qu’il affichera jusqu’au terme de son mandat. Mais il est battu en 1981.

Le nouveau gouvernement socialiste relance la dépense publique et le déficit prévisionnel pour 1982 du budget de l’Etat atteint 100 milliards de francs. Pour tempérer l’importance du chiffre, surgit une idée ; l’exprimer par rapport au PIB. Le ratio est nouveau et prévient toute comparaison directe. De plus à déficit constant, là où l’inflation – supérieure à 13 % en 1981 – fait croître mécaniquement le déficit nominal, le diviser par le PIB – qui croît toujours un peu – fait diminuer ce ratio. Qui permet également des comparaisons directes avec des pays utilisant des monnaies différentes. Le gouvernement se flatte qu’à 2,6 % le ratio français soit en 1982 un des plus faibles de ceux des grands pays occidentaux. Et lorsque le franc est attaqué et que le pays se résigne à s’engager dans une politique de « rigueur » c’est ce ratio que le président Mitterrand met en avant – avec cette limite de 3% qu’il fixe  – devant l’opinion internationale.

La valeur de la limite a été fixée pour pouvoir être ronde et respectée. Pas plus. Et à vrai dire elle ne portait que sur le budget de l’Etat, en excluant le déficit des comptes sociaux. Et à une époque où l’inflation très élevée permet un déficit sans croissance de la dette. Pas vraiment les conditions du critère de Maastricht. Il n’en reste pas moins que l’objectif de 3% du PIB est maintenant inscrit dans le marbre des traités européens.

On peut toujours mener le calcul du déficit acceptable stabilisant la dette. Avec  un niveau actuel à 95% du PIB, une croissance  de 1 % et l’inflation à 1 %  la dette de la France serait stabilisée si le déficit ne dépassait pas 1,9 % du PIB. Pas 3 %.

On comprend  que l’opinion publique allemande tousse.

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