Ce 15 octobre la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a sanctionné la Suisse pour avoir condamné en 2007 M. Perincek à une peine de 120 jours-amende – des jours de prison substituables par une amende – à 100 francs suisses chacun , dont 90 assortis d’un sursis de deux ans, et à verser une indemnité de 1 000 francs suisses à l’association Suisse-Arménie, à l’origine suite de la plainte contre lui.
En 2005 M. Perincek, président du Parti des travailleurs de Turquie, opposant politique pourchassé par le gouvernement turc et réfugié en Suisse avait nié publiquement le génocide arménien en affirmant notamment que c’est « un mensonge international » et qu’« il n’y a pas eu de génocide des Arméniens en 1915″ (…) ». Les faits ne sont pas contestés et l’intéressé reconnaît nier le génocide des Arméniens. A ses yeux, des massacres se sont effectivement déroulés en 1915, mais ils ont eu lieu à la fois dans le camp des Arméniens et dans celui des Turcs. »
Mais le code pénal suisse prévoit que toute personne qui « niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité » encourt une peine maximum de trois ans d’emprisonnement ou une amende. D’où sa condamnation.
Dont M. Perincek estimait qu’elle constituait une atteinte grave à sa liberté d’expression, pourtant garantie par la Convention européenne des droits de l’homme. Il avait obtenu l’annulation de sa condamnation en décembre 2013, mais le gouvernement suisse avait formé appel. A cette occasion, et comme le permet la procédure de la CEDH, les gouvernements turc, arménien et français, des organisations non gouvernementales comme la Licra et le FIDH et des associations représentant des intérêts arméniens ont produit des « tierces observations », pour soutenir la Suisse, sauf bien sûr pour le gouvernement turc , pour une fois en ligne avec son opposant.
Sur le fond, la CEDH a confirmé la première décision et fait droit à la demande de M. Perincek. Sa condamnation pénale constitue une ingérence excessive dans sa liberté d’expression. La Cour prend bien la précaution de rappeler qu’il ne lui appartient pas de qualifier ou non de génocide les massacres de 1915. Mais par principe la liberté d’expression doit être protégée, y compris lorsque les propos tenus « heurtent, choquent ou inquiètent ». Ainsi le veulent le pluralisme des opinions et la tolérance, sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Une atteinte à la liberté d’expression ne peut être justifiée que pour répondre à un « besoin social impérieux« . C’est à dire soit la préservation de l’ordre public, soit « la protection des droits d’autrui ». Et si la communauté arménienne est naturellement sensible aux propos tenus par M. Perincek, il est naturel qu’elle y réponde, notamment dans les médias, mais il n’en demeure pas moins qu’ils ne constituent pas en soi une incitation à la violence.
Ce qui est moins compréhensible c’est la communication du gouvernement français qui affirme que la négation d’un génocide doit, en tant que telle, être pénalement sanctionnée, dans la mesure où « les principes de base de la société démocratique s’en trouvent menacés ». Ce n’est pas le propos qui est sanctionné, mais l’intention qui le sous-tend, ou plus précisément l’intention qui lui est prêtée.
Un délit d’opinion ?
Pourtant en 2012 le Conseil constitutionnel avait sanctionné le projet de loi voulu par M. Sarkozy, pénalisant la contestation des génocides prévus par la loi en affirmant sèchement que ce projet portait à la liberté d’expression une atteinte « ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à l’objectif poursuivi ».